Eric Ruf se Prépare à Quitter la Comédie-Française en Mettant en Scène “Le Soulier de Satin”
Eric Ruf, qui quittera bientôt ses fonctions d’administrateur général à la Comédie-Française début août, a choisi de marquer son départ en mettant en scène “Le Soulier de satin”. Il perçoit cette pièce comme une “célébration théâtrale” d’une durée de sept heures. Dans une interview accordée à l’AFP, Eric Ruf a partagé son optimisme pour l’avenir du théâtre, qu’il voit comme un “espace où l’on regarde ensemble dans la même direction, où l’on éteint son portable, et où l’on n’est pas contraint de réagir immédiatement”.
Écrite en 1943 et rarement jouée depuis, “Le Soulier de satin” est programmée à partir de samedi jusqu’au 13 avril. Cette œuvre raconte un amour absolu et impossible à l’époque de la Renaissance espagnole. Bien que la pièce ait été réduite d’environ un tiers, Eric Ruf insiste sur le fait qu’elle ne doit pas intimider, car le théâtre de Paul Claudel, son auteur, est “amusant” et “truculent”.
Réflexions sur une Décennie à la Comédie-Française
Question : Quel bilan tirez-vous de vos 11 années à la tête de la Comédie-Française ?
Réponse : “Le temps nous le dira… J’ai tenté d’accompagner de manière avisée les périodes que traverse la Comédie-Française. Elle est capable de se transformer et doit présenter tous les types de théâtre qui existent, une mission que je crois avoir accomplie. Je me suis également investi dans la pédagogie pour rendre le théâtre accessible à tous les publics, diversifiant ainsi les salles et la troupe. Nous pouvons aussi être fiers de la réponse de la maison durant la période de la Covid, notamment avec la création d’une web-télévision.”
Situation Financière et Ressources
Question : Et la situation financière ?
Réponse : “Nous avons réussi à augmenter nos ressources propres – billetterie, tournées, audiovisuel et mécénat – de façon suffisante pour que la réduction des subventions ne soit pas un problème criant pour les années à venir (la subvention de l’État est de 25,5 millions en 2025, celle de 2024 ayant été réduite de 5 millions d’euros, ndlr). Nous vivons dans un monde où le retour sur investissement est primordial, et pour un théâtre, ce retour se traduit par le sourire d’un enfant ou la croissance d’un artiste après plusieurs spectacles. C’est impossible à quantifier dans un graphique. Les politiques doivent comprendre que la culture a une valeur. De plus en plus, certains remettent en question son utilité. Cela m’inquiète. Le théâtre est une œuvre de civilisation, pas seulement une œuvre sociale.”
Perspectives pour l’Avenir du Théâtre
Question : Quel avenir entrevoyez-vous pour le théâtre ?
Réponse : “Je suis convaincu que les théâtres vont accueillir de plus en plus de monde, car disposer d’un espace où l’on s’assied ensemble, où l’on éteint son portable, où l’on n’est pas obligé de réagir immédiatement, et où l’on peut potentiellement s’ennuyer sans pouvoir partir, est unique par rapport à nos pratiques habituelles. C’est pour cela que c’est exceptionnel !”
Le Choix de “Le Soulier de Satin”
Question : Pourquoi monter “Le Soulier de satin” ?
Réponse : “Nous l’avions proposé pendant la pandémie en 2021, sous une forme de lecture à table (les comédiens lisaient le texte autour d’une table et c’était diffusé par la web-télé, ndlr). J’ai constaté à cette occasion que l’absence quasi totale de décors rendait hommage à cette écriture. J’avais aussi remarqué que ceux qui n’avaient jamais travaillé sur Claudel pensaient que son théâtre ressemblait à de grands poèmes lyriques un peu incompréhensibles.”
Une Nouvelle Approche de Claudel
Question : Pourtant, selon vous, Claudel, c’est tout sauf ça…
Réponse : “Son théâtre est drôle, foisonnant. Claudel s’inspire de Shakespeare, du Siècle d’or espagnol, des livres picaresques, des grands récits. Il alterne entre grandes scènes politiques, scènes comiques et moments d’intense émotion. À jouer, c’est joyeux, truculent, abondant. Une véritable fête théâtrale. Les jeunes acteurs, après une semaine de travail, m’ont dit +quelle matière extraordinaire !+ J’apprécie que les acteurs s’engagent dans une longue journée et que les spectateurs fassent de même. C’est comme participer au Vendée Globe, c’est incroyable. C’est une sorte d’apnée, partagée totalement entre la scène et le public.”
Une Ultime Collaboration
Question : Est-ce une manière pour vous de dire au revoir ?
Réponse : “Oui, et c’est aussi pour avoir le plaisir de retravailler avec la troupe et le plus grand nombre de personnes possible, atteignant un sommet d’intensité avec eux.”